Léo Henry vient de remporter la première bourse d'aide à la création Dystopia.

Nous lui laissons le soin de vous présenter son projet :

"On était enchaînés épaule contre épaule. Presque nus. Lui n'avait que son pantalon, moi mon caleçon. On avait des capuches sur la tête. Oesterheld - comme moi, comme tous ceux qui étaient là-bas - a été torturé sauvagement."

- Eduardo Arias, une des dernières personnes à avoir vu Oesterheld en vie

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Le 27 avril 1977, le scénariste de bédé Héctor Germán Oesterheld est arrêté pour être séquestré dans les prisons secrètes de la dictature argentine. Il "disparaît" quelques semaines plus tard, une des 30 000 victimes du Processus de Réorganisation National, qui fait régner entre 1976 et 1983 une terreur silencieuse sur le pays.

À 60 ans, Oesterheld est une figure majeure des 'historietas', la bande dessinée argentine. Avant de collaborer avec Hugo Pratt ou Alberto Breccia, il a créé en 1957 avec Solano López le feuilleton culte, "El Eternauta". Cette série raconte l'invasion de Buenos Aires par des créatures extraterrestres dans les années 1960, la résistance populaire qui lui est opposée, et les voyages dans le temps entrepris par le héros, Juan Salvo, pour mettre en garde l'humanité contre ce qui la menace.

Vingt ans plus tard, Oesterheld remet le couvert avec "El Eternauta 2", dans lequel il est devenu lui-même le personnage principal. Il envoie ses scripts à López par la poste, depuis la clandestinité. Quand il disparaît, le feuilleton continue de paraître. Personne ne sait, à ce jour, si les dernières livraisons sont de sa main et, si non, qui a conclu son œuvre.

"Si je publie tout ce que m'a raconté l'Éternaute, arrivera-t-on à éviter la catastrophe ? En serons-nous capables ?"

- dernières paroles de "El Eternauta"

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En partant de l'histoire d'Oesterheld et de celle de son Éternaute, j'aimerais poser le premier jalon d'un Gros (Énorme) Livre Sérieux, qui s'aventurerait dans les années 1980, l'Amérique latine des dictatures, les mauvais genres (la SF), les mauvaises formes (la bédé), et explorer la question du lien complexe entre art et politique, qui est aussi, à mon sens, celui du rapport entre labeur et vie privée. J'ai derrière la tête quelque chose de très vaste et de très compliqué, qui pourrait réunir des aspects jusqu'ici assez disparates de mon boulot : lien 
création / créateur, frontière documentaire / essai / fiction, biographie / autobiographie. Avec, en ligne de mire à terme, la figure de Borges, en tant que métonymie de l'Argentine et maître des labyrinthes.

J'aimerais faire de ce premier récit, pour lequel j'ai obtenu la Dystobourse, une novella bien phat ou un court roman (dans les 200-250 000 signes). Il va nécessiter pas mal de doc et de pelletage avant de pouvoir être écrit, et mon année 2018 s'étant remplie plus vite que de raison, je vais essayer de caler ça à partir de septembre. J'ouvrirai un blog à ce moment-là, ou une page sur mon site que se remplira peu à peu, histoire de vous tenir au jus de mon avancée.

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En attendant, je vous encourage à jeter un œil à "L'Éternaute", trouvable en français dans deux intégrales : celle de 1959, dessinée par López (chez Vertige Graphique), et son remake de 1969, raccourcie mais illustrée par le formidable Breccia (aux Humanoïdes Associés). Vous pouvez aussi lire une chouette comparaison de ces deux versions par un blogueur que la bédé emmerde.

Enfin, pour d'autres pistes qui me tiennent à cœur, la trilogie romanesque de Sábato reste centrale dans mon obsession pour l'Argentine : Le Tunnel (1948), Héros et tombes (1961), L'Ange des ténèbres (1974). Gardez ça en mémoire si vous ne les avez pas lus. Ce sont de grands livres.

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Merci à tou.te.s pour la confiance, l'encouragement, et le pognon enfin ! J'espère que ce qui se prépare vous plaira un peu.

& en attendant le futur, gardons les yeux bien ouverts sur ce qui se passe ici, maintenant.

Kimota !

L.